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Homélie du dimanche 9 février 2025
Par cec**********.fr le 08/02/2025 18:34:11:00, cet article a été lu 361 fois.


Homélie des messes des 8-9 février 2025


Dans le dossier transmis par la Pastorale de la santé, cette remarque faite par Gratiane Louvet, aumônière nationale des établissements de santé :

« QUI ENVERRAI-JE ? » Ainsi résonne la voix du Seigneur à notre oreille. « Certainement pas moi ! » répond du tac au tac une petite voix en nous. « Car certainement le Seigneur envoie pour sa mission des gens compétents, brillants, capables, dignes » pensons-nous. À quelle fausse représentation de Dieu inscrite en nous cela renvoie-t-il ?

Cette dernière question me semble totalement pertinente. Le refus de répondre et les bonnes (ou sans doute mauvaises) raisons qu’on y trouve nous renvoient à trois images :

  •             Celle que je me fais de moi-même
  •        Celle que je me fais de l’autre
  •        Finalement celle que je fais de Dieu.

Considérons successivement ces trois aspects.



    Isaïe se déclare « homme aux lèvres impures », pécheur puisque l’un des séraphins vient le toucher d’un charbon brûlant et l’assure que sa faute est enlevée et son péché pardonné. Paul se sentait un « avorton » face aux autres, « le plus petit des Apôtres », portant notamment sur lui ce poids : avoir autrefois persécuté l’Église de Dieu. Simon enfin demande à Jésus de s’éloigner de lui car, lui dit-il, « je suis un homme pécheur ».

Beaucoup de nos comportements sont conditionnés pour partie par l’image que nous nous faisons de nous-mêmes et surtout, par l’image dont nous pensons que les autres se font de nous-mêmes ou que Dieu se fait de nous. Nous essayons de gagner l’estime de l’autre pour avoir l’estime de soi. Et cette quête poussée à l’excès peut nous paralyser.

Bien sûr, en-dessous peut se dissimuler une vraie peur de s’engager car on sous-estime ses forces ou on méprise ses charismes. C’est ici que la rencontre avec des personnes qui ont foi en nous, qui nous poussent à nous risquer au service des autres, qui nous appellent au nom d’une cause, d’une communauté ou de Dieu peut se révéler ensuite extrêmement précieux, quand nous nous surprenons à faire ce que nous n’avions pas d’abord osé faire ou entreprendre. « A chacun est donné la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » écrit saint Paul dans cette même première lettre aux Corinthiens (12,17). Il ne s’agit pas seulement qu’autrui croit en moi, mais réaliser que Dieu le premier croit en moi, m’attend et me donne pour cela les charismes nécessaires.



   Une autre raison qui peut nous conduire à ne pas répondre aux appels adressés se trouve dans la mauvaise image que nous avons des autres ou des situations. Nous majorons d’autant plus les difficultés que les milieux vers lesquels on nous demande d’aller nous sont étrangers. Je me rappelle ma réaction lorsque pour la première fois, je suis entré dans une maison d’arrêt pour aller célébrer la messe avec des prisonniers. Je ne connaissais pas encore ce lieu, je me faisais une certaine idée de l’ambiance qui peut y régner et surtout je me sentis démuni pour m’adresser à eux. L’aumônier laïc qui m’accompagnait m’a simplement dit : « adresse-toi à eux comme à des personnes normales. Ce sont d’abord des humains et des frères ». Et cela m’a conforté. Le monde des malades et des hôpitaux peut aussi nous effrayer quand nous en avons eu des expériences difficiles voire traumatisantes dans l’enfance ou la jeunesse. Ici encore, regarder la personne non pas comme malade plus ou moins gravement mais d’abord et avant tout comme personne qui a sa pleine dignité humaine d’abord, et celle d’enfant de Dieu ensuite pour nous qui sommes croyants.

Sans doute faut-il être aussi au clair sur les relations que nous entretenons avec la maladie, la souffrance et la mort… pour ne pas projeter sur autrui des angoisses qui sont d’abord les nôtres.


3.     Le nœud se trouve peut-être d’abord dans la relation à Dieu. Et c’est ici que la question de Gratiane Louvet trouve toute sa pertinence : « À quelle fausse représentation de Dieu inscrite en nous cela renvoie-t-il ? ». Il faut d’abord prendre conscience qu’à travers telle personne, telle institution ou telle communauté, c’est Dieu qui nous appelle. Puis y répondre. Je pense alors à la parabole des talents chez Matthieu (25,14-30). Celui qui a enfoui en terre le talent confié par le maître s’en justifie ainsi : « Seigneur, je savais que tu es un homme dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. » (vv. 24-25) Il a projeté sur Dieu l’image d’un homme dur dont il a peur. Est-ce l’image de Dieu que nous avons ? Il faut reconnaître qu’un certain enseignement de l’Église a pu, à certaines époques, nous en convaincre. Mais si Dieu nous demande quelque chose, c’est d’une part qu’il a confiance en nous, d’autre part qu’il nous donne ce qu’il faut pour remplir cette mission.

Pour en revenir encore à l’apôtre Paul, citons une réflexion cette fois tirée de la seconde épître aux Corinthiens (12,7-9) :

Pour m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »

 

La question à nous poser n’est donc pas : est-ce que j’en suis capable ? Mais : est-ce le Seigneur qui m’appelle à cela ? Si on reste avec la première, on a de grandes chances de rester au bord du rivage. Mais si on considère la seconde question, et qu’un discernement nous a conduit à y répondre positivement – Oui, c’est bien le Seigneur qui m’appelle -, alors ne nous regardons plus mais entendons pour nous cette parole reçue de l’apôtre : « Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » Et, comme Pierre et ses compagnons, nous ne refuserons pas l’aventure. « Ils ramenèrent les barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. »

 

P. Jean-Michel Poirier