Homélie des messes des 8-9 février 2025
Dans le dossier transmis par la Pastorale de la santé, cette
remarque faite par Gratiane Louvet, aumônière nationale des établissements de
santé :
«
QUI ENVERRAI-JE ? » Ainsi résonne la voix du Seigneur à notre oreille. «
Certainement pas moi ! » répond du tac au tac une petite voix en nous. « Car
certainement le Seigneur envoie pour sa mission des gens compétents, brillants,
capables, dignes » pensons-nous. À quelle fausse représentation de Dieu
inscrite en nous cela renvoie-t-il ?
Cette dernière question me semble
totalement pertinente. Le refus de répondre et les bonnes (ou sans doute
mauvaises) raisons qu’on y trouve nous renvoient à trois images :
Considérons successivement ces trois aspects.
Isaïe se déclare « homme aux lèvres
impures », pécheur puisque l’un des séraphins vient le toucher d’un
charbon brûlant et l’assure que sa faute est enlevée et son péché pardonné.
Paul se sentait un « avorton » face aux autres, « le plus petit
des Apôtres », portant notamment sur lui ce poids : avoir autrefois
persécuté l’Église de Dieu. Simon enfin demande à Jésus de s’éloigner de lui
car, lui dit-il, « je suis un homme pécheur ». Beaucoup de nos comportements sont
conditionnés pour partie par l’image que nous nous faisons de nous-mêmes et
surtout, par l’image dont nous pensons que les autres se font de nous-mêmes ou
que Dieu se fait de nous. Nous essayons de gagner l’estime de l’autre pour
avoir l’estime de soi. Et cette quête poussée à l’excès peut nous paralyser. Bien sûr, en-dessous peut se dissimuler une
vraie peur de s’engager car on sous-estime ses forces ou on méprise ses
charismes. C’est ici que la rencontre avec des personnes qui ont foi en nous,
qui nous poussent à nous risquer au service des autres, qui nous appellent au
nom d’une cause, d’une communauté ou de Dieu peut se révéler ensuite
extrêmement précieux, quand nous nous surprenons à faire ce que nous n’avions
pas d’abord osé faire ou entreprendre. « A chacun est donné la
manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » écrit saint Paul dans
cette même première lettre aux Corinthiens (12,17). Il ne s’agit pas seulement
qu’autrui croit en moi, mais réaliser que Dieu le premier croit en moi,
m’attend et me donne pour cela les charismes nécessaires.
Une autre raison qui peut nous conduire à ne pas
répondre aux appels adressés se trouve dans la mauvaise image que nous avons
des autres ou des situations. Nous majorons d’autant plus les difficultés que
les milieux vers lesquels on nous demande d’aller nous sont étrangers. Je me
rappelle ma réaction lorsque pour la première fois, je suis entré dans une
maison d’arrêt pour aller célébrer la messe avec des prisonniers. Je ne
connaissais pas encore ce lieu, je me faisais une certaine idée de l’ambiance
qui peut y régner et surtout je me sentis démuni pour m’adresser à eux.
L’aumônier laïc qui m’accompagnait m’a simplement dit : « adresse-toi
à eux comme à des personnes normales. Ce sont d’abord des humains et des
frères ». Et cela m’a conforté. Le monde des malades et des hôpitaux peut
aussi nous effrayer quand nous en avons eu des expériences difficiles voire
traumatisantes dans l’enfance ou la jeunesse. Ici encore, regarder la personne
non pas comme malade plus ou moins gravement mais d’abord et avant tout comme
personne qui a sa pleine dignité humaine d’abord, et celle d’enfant de Dieu
ensuite pour nous qui sommes croyants.
Sans doute faut-il être aussi au clair sur
les relations que nous entretenons avec la maladie, la souffrance et la mort…
pour ne pas projeter sur autrui des angoisses qui sont d’abord les nôtres.
3. Le nœud se trouve peut-être d’abord dans la
relation à Dieu. Et c’est ici que la question de Gratiane Louvet trouve toute
sa pertinence : « À quelle fausse représentation de Dieu inscrite en
nous cela renvoie-t-il ? ». Il faut d’abord prendre conscience qu’à
travers telle personne, telle institution ou telle communauté, c’est Dieu qui
nous appelle. Puis y répondre. Je pense alors à la parabole des talents chez
Matthieu (25,14-30). Celui qui a enfoui en terre le talent confié par le maître
s’en justifie ainsi : « Seigneur, je savais que tu es un homme
dur : tu moissonnes là où tu n’as pas semé, tu ramasses là où tu n’as pas
répandu le grain. J’ai eu peur, et je suis allé cacher ton talent dans la
terre. Le voici. Tu as ce qui t’appartient. » (vv. 24-25) Il a projeté sur
Dieu l’image d’un homme dur dont il a peur. Est-ce l’image de Dieu que nous
avons ? Il faut reconnaître qu’un certain enseignement de l’Église a pu, à
certaines époques, nous en convaincre. Mais si Dieu nous demande quelque chose,
c’est d’une part qu’il a confiance en nous, d’autre part qu’il nous donne ce
qu’il faut pour remplir cette mission.
Pour en revenir encore à l’apôtre Paul,
citons une réflexion cette fois tirée de la seconde épître aux Corinthiens
(12,7-9) :
Pour
m’empêcher de me surestimer, j’ai reçu dans ma chair une écharde, un envoyé de
Satan qui est là pour me gifler, pour empêcher que je me surestime. Par trois
fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré :
« Ma grâce te suffit, car ma puissance donne toute sa mesure dans la
faiblesse. »
La question à nous poser n’est donc
pas : est-ce que j’en suis capable ? Mais : est-ce le Seigneur
qui m’appelle à cela ? Si on reste avec la première, on a de grandes
chances de rester au bord du rivage. Mais si on considère la seconde question,
et qu’un discernement nous a conduit à y répondre positivement – Oui, c’est
bien le Seigneur qui m’appelle -, alors ne nous regardons plus mais entendons
pour nous cette parole reçue de l’apôtre : « Ma grâce te suffit, car
ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. » Et, comme Pierre
et ses compagnons, nous ne refuserons pas l’aventure. « Ils ramenèrent les
barques au rivage et, laissant tout, ils le suivirent. »
P. Jean-Michel Poirier
|